Achraf Manar coordonne le collectif Different Leaders qui a pour ambition la promotion d’un leadership responsable, inclusif et durable. Il est aussi membre du conseil d’administration d’Article 1, et a rejoint la communauté « L’Humanité en action » qui regroupe de jeunes leaders à travers le monde pour défendre la démocratie.
Lisez la suite pour découvrir les 3 questions que nous avons posées à Achraf.
Selon l’endroit où ils vivent ou leur milieu d’origine, les jeunes ne sont pas tous égaux pour mener à bien leur scolarité. Peux-tu nous raconter ton histoire, ton parcours scolaire et les difficultés que tu as pu rencontrer durant cette période, mais aussi tes accomplissements ?
Depuis que je suis petit, je constate ces inégalités liées à l’éducation. Mes parents, issus de familles pauvres au Maroc, sont venus en France avec l’espoir d’une vie meilleure. Je suis né quelques années plus tard à Bordeaux, où j’ai d’abord grandi dans un milieu urbain avec ces grandes cités HLM où se mélangeaient les gens et les cultures, mais où les inégalités et les difficultés se concentrent. Puis nous avons déménagé en milieu rural, en Auvergne, où j’ai réalisé ma scolarité en collège et lycée publics.
On avait l’habitude de retourner le plus possible au Maroc pour rendre visite à notre famille, et j’ai noué des amitiés d’enfance là-bas. J’ai vu à quel point les vies et les trajectoires étaient différentes au sein d’un même pays et encore plus au-delà des frontières ; et que bien souvent, nos trajectoires sont très liées au fait d’avoir de la chance ou d’en manquer. C’est une réalité qui me marque toujours quand j’y pense, mais en France, il faut 6 générations pour sortir de la pauvreté.
En France, le travail est loin d’être suffisant pour accéder à un meilleur statut social et économique, et beaucoup trop de destins sont empêchés. J’ai eu la chance de pouvoir faire des études, mais j’ai aussi depuis très jeune ce sentiment d’urgence de devoir contribuer à réduire les inégalités. C’est ce qui m’a guidé jusqu’à aujourd’hui.
Tu agis au sein du collectif Different Leaders qui vise à promouvoir un leadership responsable, et de l’association Article 1 qui aide les jeunes à s’orienter et les accompagne jusqu’à leur insertion professionnelle. Pour toi qui es titulaire d’un diplôme d’ingénieur en mathématiques appliquées, science des données et intelligence artificielle, mais aussi d’un master en innovation et développement durable, la méritocratie ne suffit-elle donc pas à l’égalité des chances ?
Je suis engagé parce que je crois profondément qu’on peut changer les choses, qu’on peut rendre nos sociétés plus justes. Mais il faut aussi pouvoir regarder les difficultés en face pour pouvoir avoir l’espoir de les corriger.
La méritocratie n’existe pas. Malgré le travail primordial de beaucoup d’enseignantes et enseignants, on sait bien que le cadre social, économique, culturel dans lequel on naît, comme l’endroit où on habite par exemple, déterminent énormément les trajectoires. On sait bien que du collège aux filières dites d’excellence, les enfants de milieux populaires disparaissent. Et que par-dessus ces réalités, se rajoutent souvent des discriminations.
Ce serait trop facile, lorsque l’on a terminé ses études, de dire « il suffit de travailler pour y arriver, quand on veut on peut », etc. : ce n’est pas la réalité. C’est pour cela que je veux dire aux dirigeants politiques qu’ils doivent prendre en compte ces réalités et faire de la lutte contre les inégalités, notamment à l’école, une priorité. C’est aussi pour ça que je suis engagé avec beaucoup d’autres dans des activités associatives, pour essayer d’accompagner un maximum de jeunes dans leur réussite, les aider à avoir confiance, à dépasser l’autocensure parce que bien souvent, ce n’est pas du tout le talent qui manque.
Tu viens de rejoindre La Fondation européenne pour le Climat, qui œuvre au développement d’une société neutre en carbone aux niveaux national, européen et mondial… Quelle y est ta mission ? L’engagement est donc la seule voie possible ?
Ma mission consiste à accompagner et soutenir des associations qui luttent pour une société écologique, pour la justice sociale et climatique. C’est le plus grand défi de notre siècle, c’est le défi que doivent relever nos générations.
J’avais à cœur de lier mon engagement social à un engagement climatique parce qu’ils sont indissociables. Celles et ceux qui souffrent le plus des inégalités sont celles et ceux qui subissent et subiront le plus le changement climatique, et paradoxalement, ce sont aussi celles et ceux qui polluent le moins et qui sont le moins responsables de ce choc.
L’enjeu est de changer profondément notre modèle de société, engager cette transition qui est vitale pour l’espèce humaine et pour le vivant ; enfin, être solidaire dans cette transition en répartissant justement l’effort.
L’engagement est-il la seule voie possible ? Je ne sais pas, ce dont je suis sûr c’est que c’est aussi ma voie, celle dans laquelle je me sens utile et qui me permet d’être au service des gens et de valeurs que je crois justes. Mais j’ai confiance dans les personnes, dans notre capacité à nous organiser en prenant en compte la place de chacun ; à « faire mouvement », dans l’entraide et dans l’amour pour répondre à ces urgences.