Il s’est passé quelque chose : « ne fais pas du France Culture ! » – c’est ce qu’on entendait dans les couloirs de beaux médias par ailleurs et ce n’était pas vraiment un compliment. Une reconnaissance intellectuelle certes, mais surtout l’expression de la critique d’un entre-soi mâtiné d’un peu de jalousie – la culture ? ce que des happy fews réservaient  à d’autres happy fews – qui ne pouvait pas concerner le grand public. Trop compliqué, pas très entertainment. On ne se lançait pas non plus massivement dans les concours d’écoles de journalisme pour venir à France Culture. Chacun cultivait sa différence et c’était sans doute bien heureux mais on restait en circuits fermés. Vous étiez un média-de- complément – rien à redire à cela mais aspirer à être un média-tout-court, il ne fallait pas y penser. Entrer dans l’écoute de France Culture était intimidant – un peu d’effort ne nuit pas – mais je parle d’intimidation sociale et culturelle. C’est autre chose. 

Le monde a changé. La demande sociale a évolué. La scolarité s’est rallongée. Les études se sont multipliées. Le modèle d’ascension républicain s’est mis à toussoter. Une génération de chercheurs s’est rendue compte qu’il y avait possiblement dans les médias de quoi s’adresser non seulement à ses pairs dans quelques studios bien feutrés mais avant tout au grand public des curieux, avides de sens et de trouver un peu de recul, d’imaginaire, de poésie sans pour autant être coupé du monde réel et des informations sur la planète. Les rédactions dans tous les grands médias confrontées à la complexité du monde et à une crise de défiance grandissante sont allées de plus en plus nombreuses tendre le micro à des sachants et miracle : les publics sont venus au rendez-vous. En dix ans, France Culture a exactement doublé son audience.

On est au début d’un nouveau temps qui nous fait réfléchir autrement à un monde où rien ne se passe plus jamais comme prévu, à l’adaptation à ce monde de nos grilles et de nos pratiques. Le numérique permet de penser des plateformes intelligentes pour les médias qui pensent leurs programmes comme des flux de programmes permettant de construire des catalogues raisonnés et éditorialisés. Les jeunes générations ont des usages différents des nôtres et l’histoire aurait pu s’écrire sans nous si nous n’y avions pas prêté garde. Les Youtubers ont investi les espaces de liberté, les auteurs indépendants de podcasts aussi, des universités populaires sont à hauteur de réseaux sociaux. Le goût de la science fait un Goncourt à 1 million d’exemplaires.

La connaissance en soi n’a jamais ennuyé ni rebuté personne. Des livres de philosophes et d’historiens se vendent au-delà de toutes espérances. Sapiens cherche, recherche, voyage, expérimente, découvre. Et quoi que l’on pense de ce que Sapiens fait de tout ce qu’il apprend, il reste qu’il est une espèce apprenante et heureuse de l’être. C’est même sans doute sa principale manière d’être une espèce supérieure – mais là je m’avance sur un terrain glissant … 

Et maintenant ? C’est la question que nous avons voulu initier avec nos amis d’Arte au fil d’un questionnaire, d’un festival international des idées, d’un prix de l’essai, dont le Centre de Recherches Interdisciplinaires a été partenaire. La discussion entre des médias culturels devenus grand public et les enseignants s’enrichit grâce aux libertés des écritures numériques, et aux nouvelles démarches éducatives engagées durant la pandémie. Nous venons de révéler la première édition d’un concours de podcasts pédagogiques initié avec Jacques Attali, le Réseau Canopé, un inspecteur d’académie de l’Education nationale, des producteurs de France Culture. Parallèlement, nous avons développé l’Open Panthéon – merveilleuse idée de François Taddei pour faire incarner la chaîne de la transmission. Les uns et les autres nous lançons dans des leçons de rêves et d’imagination. 

Aujourd’hui notre grille propose aux auditeurs une matinale qui reçoit selon les mois entre 70 et 80% de chercheurs et nous produisons une douzaine d’émissions quotidiennes de connaissances et une quinzaine le week-end. Nous savons traduire cette ligne éditoriale dans des podcasts, en vidéos ainsi que dans un espace en ligne dédié à l’éducation. Ces différents contenus constituent des sélections éditorialisés de programmes de référence sur une variété infinie de sujets. La qualité de l’offre, la confiance construite avec un public toujours plus nombreux – et plus jeune – nous permet de réunir à notre écoute 1 712 000 auditeurs quotidiens et 26,8 millions de podcasts mensuels. Comment faire plus – et mieux – ensemble, de manière transversale en conjuguant nos compétences pour élargir l’impact social, et la diffusion de nos contenus qui s’inscrivent au coeur de nos services publics ? C’est à cet objectif que je nous propose de nous atteler. 

Sandrine Treiner, Directrice de France Culture